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Turbia est une série colombienne produite par Contravia Films, une « petite » société de production caleña, qui a dix longs-métrages à son catalogue. Elle s’est associée à une entreprise amie, Inercia Películas, ainsi qu’à la chaîne de télévision locale Telepacífico.
Ni Netlix (ou toute autre plateforme dominante) ni Bogotá : une équipe de cinéastes déterminée à diffuser dans tout le pays et à l’international du cinéma réalisé localement mène à bien le projet.
Les six épisodes de Turbia ont été tournés en 2019. En automne de cette année-là, un mouvement social massif contre les inégalités sociales a ébranlé le pays, plus important encore à Medellín et Cali que dans la capitale : plus d'un million de personnes y ont pris part ; les affrontements et la répression policière ont fait des centaines de victimes et causé la mort de dix-sept personnes. Cette réalité marque fortement les épisodes, au point que « nous avons fini par utiliser de véritables sons de révolte (...) pour interroger l'ensemble de la situation environnementale », déclare Oscar Ruíz Navia, le fondateur et directeur de Contravia Films et l’initiateur Turbia. D’ailleurs, « on décrit un monde, une réalité catastrophique, mais ce qui est important derrière tout ça, c’est de voir comment les inégalités sociales mettent en lumière les véritables conditions de pauvreté et de corruption qui existent dans le pays », affirme César Acevedo. Le projet est politique et ancré dans la réalité colombienne. Dans le troisième épisode, les cinéastes ont proposé à la militante écologiste Francia Márquez de jouer un personnage similaire à elle-même. Elle est, depuis le 7 août 2022, vice-présidente de la Colombie.
Simultanément aux événements politiques de 2019 se déclenche la crise sanitaire liée à la pandémie qui a pour effet direct de bloquer la diffusion cinématographique. Mais les modifications des comportements des publics ont un résultat positif : spectateurs et spectatrices se tournent vers les petits écrans et les plateformes télévisuelles et la série trouve finalement une belle audience.
Chose qui n’est pas coutume, Cinélatino a décidé de faire découvrir la série en entier. Les six épisodes ont été réalisés par des cinéastes, ce qui donne à l’ensemble son originalité : c’est une vraie série d’auteurs, avec une liberté créatrice que ne lui aurait pas permise un financement par une des plateformes dominantes – alors qu’elle aurait bénéficié de moyens sans commune mesure. Le pari était ambitieux : « Le concept était de réunir six réalisateurs qui pourraient réaliser une série en profitant du boom actuel », déclare Oscar Ruíz Navia.
Rappelons-nous : en 2013 William Vega, La Sirga, en 2015 Oscar Ruíz Navia, Los Hongos, en 2016 Santiago Lozano Álvarez, Siembra et César Augusto Acevedo, La Tierra y la sombra, en 2017 Carlos Moreno, Que viva la música et Jorge Navas, Calicalabozo. Tous ces films ont été programmés à Cinélatino et beaucoup de leurs créateurs sont venus à Toulouse.
Le résultat est une œuvre collective : les six films sont apparemment indépendants mais, au-delà de la situation de départ, certains personnages récurrents ajoutent à la cohérence de la série. Comme le décrit Carlos Moreno : « On s’est mis d’accord, au départ, sur un univers unique, singulier, qui nous permet d’avoir de meilleures conditions de production. Mais chaque réalisateur pouvait adapter cet univers à ce qu’il voulait suggérer. La série part d’un conflit sur l’eau, mais cela entraîne une ribambelle de questions autour de cet univers. » Et César Acevedo complète : « Ce qui est enthousiasmant dans ce projet, c’est qu’il y a des visions très personnelles de cette réalité, mais aussi des genres très différents. Et chaque réalisateur use d’un langage pour exprimer sa propre réalité dans chaque épisode. »
Sous un propos dystopique, les réalisateurs racontent un monde réel, une réalité catastrophique, mettant en lumière les inégalités sociales, les véritables conditions de pauvreté et de corruption qui existent dans le pays.
Marie-Françoise Govin
Source : Les citations sont extraites d’un entretien obtenu par Les écrans terribles http://www.lesecransterribles.com/series-mania-2022-turbia/55450
Mouvements sociaux
Automne 2019. Le Chili, l’Équateur, la Bolivie voient l’explosion de mouvements sociaux. La Colombie n’est pas en reste et, en novembre 2019, sont organisées des manifestations d’un mouvement social inhabituel dans ce pays. Les manifestant·es protestent contre la gestion du président de droite Ivan Duque : pour les droits sociaux, à l’éducation, à la santé et préservation de l’environnement et des communautés indigènes. Les mouvements et les grèves générales aboutissent à l’arrêt du pays.
Avril 2021. Les Colombiens et les Colombiennes protestent contre la réforme fiscale. Les manifestant·es réclament une politique plus sociale et demandent le retrait de la réforme de la santé, qui vise à restreindre l'accès universel à des soins de qualité. Ils et elles souhaitent également des aides pour les entreprises qui ont souffert de la crise sanitaire, ou encore l'accès à une éducation gratuite pour tous·tes. La répression policière fait 42 morts et plus de 800 blessé·es. Ils et elles dénoncent les abus des forces de l'ordre. Cali est l’épicentre des révoltes.
19 juin 2022. Pour la première fois de son histoire, la Colombie élit un président de gauche, Gustavo Petro et sa colistière Francia Márquez.
Francia Márquez
Francia Márquez est la première femme vice-présidente de la Colombie. Afro-colombienne, elle est une militante environnementale et une féministe. En 2014, elle se bat contre les multinationales qui exploitent les terres de sa communauté. Déterminée, elle organise la « marche des turbans » : 80 femmes se réunissent pour marcher vers Bogotá puis Cauca. Elle entre en politique en 2020 et est élue vice-présidente aux côtés de Gustavo Petro.